5 pièces de French workwear cultes

Le vêtement de travail français a le vent en poupe. Robustes, fonctionnelles, parfois méconnues : voici 5 pièces iconiques du vestiaire workwear tricolore.

Crédit photo de couverture : White Whale Co.

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Bonne lecture. :)

Contenu rédigé par Eric Maggiori, fondateur de AVANT Magazine

Ce n’est un secret pour personne : j’ai un faible pour les vêtements qui ont vécu. Ceux qui gardent des traces de peinture, un voile de poussière, des accrocs aux coudes comme aux genoux, et qui finissent par devenir de vrais carnets de route en tissu.

Le workwear, c’est le fonctionnel devenu style : des coupes pensées pour bouger, des étoffes faites pour durer, des détails qui racontent un métier. Et parce que chaque pièce est unique, on n’achète pas qu’un vêtement, on adopte une histoire.

Pour moi, cette obsession a commencé en 2010, lors d’un voyage en Californie. Là où, un siècle et demi plus tôt, le denim avait accompagné les mineurs de la ruée vers l’or. Eux cherchaient le métal précieux, moi je traquais désormais l’or bleu. J’ai écumé l’Ouest américain, mais aussi bien d’autres endroits, en quête de pièces oubliées. Très vite, le denim est devenu un fil rouge de ma vie. Sur ma route, j’ai croisé d’autres passionnés, admiré des pièces workwear sublimes, eu la chance d’en posséder à mon tour. Et puis, surtout, j’ai écouté des histoires. Beaucoup d’histoires. Journaliste de métier, j’ai naturellement commencé à les écrire : les histoires des vêtements qui nous fascinent, et de ceux qui les font vivre à travers le temps.

En 2019, cette passion a pris la forme d’un premier ouvrage : le lancement d’AVANT, 200 pages dédiées au vêtement de travail américain. L’obsession poussée à son paroxysme. Depuis, il y en a eu d’autres, huit au total (le French Workwear a eu droit à son ouvrage, le Western Wear aussi), tous consacrés à ces habits de labeur qui racontent une part de nous et de notre mémoire collective.

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Le vêtement de travail n’appartient pas qu’à nos campagnes. Il traverse toute notre culture. On le croise au cinéma, dans la peinture, dans les pages de Zola et de Victor Hugo, et sans s’en rendre compte, on l’a toujours eu sous les yeux. Peut-être que c’est pour ça qu’il nous fascine autant aujourd’hui.

Allons droit au but : les lignes qui suivent sont consacrées à cinq vêtements de travail français devenus iconiques. Le workwear américain a ses mythes, certes, mais le nôtre n’a rien à lui envier. Le vestiaire français regorge de pièces sublimes, parfois même raffinées. Les cinq que je vais détailler ici ont façonné nos silhouettes autant que notre imaginaire collectif. Et, chaque fois qu’on les enfile, elles continuent de le faire.

1. La veste en moleskine : l’icône du workwear français

Difficile de parler workwear français sans évoquer la pièce qui a tout traversé : la veste en moleskine. Bleue, noire ou blanche, rapiécée jusqu’à l’os ou encore neuve de stock, elle est à la France ce que la denim jacket est aux États-Unis : un symbole national. Portée aussi bien par les paysans que par les ouvriers d’usine, au champ comme à la ville, elle a longtemps été l’uniforme discret de la classe laborieuse.

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Crédit : Kurt Hutton/Picture Post/Hulton Archive/Getty Images 

Née à la fin du XIXᵉ siècle, la moleskine française est un tissu 100 % coton à double face : extérieur lisse et brillant grâce à un tissage satin ultra-serré (d’où son nom, mole skin, peau de taupe), intérieur en sergé pour le confort et la résistance. Le résultat : une toile quasi indestructible, capable de supporter frottements, pliages et journées de labeur sans broncher. Pas étonnant qu’elle ait remplacé les simples tabliers de cuir dans de nombreux métiers. 

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Crédit : FOB Factory chez les Flâneurs

Côté coupe, la veste en moleskine se reconnaît à son col chevalière arrondi, ses trois poches plaquées (dont une petite sur la poitrine pour le tabac) et sa poche intérieure où trône souvent l’étiquette du fabricant, véritable petit bonbon pour les collectionneurs.

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Crédit : Le Mont Saint Michel

Noire dans les campagnes d’avant-guerre, bleue dans les usines d’après 1945, blanche chez certains peintres ou tailleurs de pierre… la couleur a surtout suivi la disponibilité et le budget plus que le métier, contrairement à la croyance commune. Aujourd’hui, c’est l’inverse : la rareté fait le prix. Si la bleue est encore courante, la noire a connu une hype énorme après 2020, notamment grâce aux magazines spécialisés japonais. Désormais, pour une belle moleskine des années 1920 ou 1930, il faut y mettre le prix. Comptez rarement moins de 200 euros. Pour une belle taille avec la patine idéale, les prix tournent plutôt autour de 300 à 350 euros. On reste en-dessous des vieilles denim jackets américaines, mais la cote a sérieusement grimpé.

J’en possède une en deadstock, fin des années 30-début 40, avec son étiquette d’origine (« Le Copain du Centre »). Dénichée pour 300 euros aux Puces de Saint-Ouen chez Marcel & Jeannette. Je l’adore : avec un jean blanc, c’est canon, et elle peut même se porter comme une veste de soirée, tellement elle est élégante.

2. L’ensemble de chasse en velours côtelé : le dimanche à la campagne

En France plus que n’importe où, le velours côtelé a longtemps été un pilier des vêtements de travail. Sa particularité : un tissage composé de fibres torsadées parallèles les unes aux autres, mêlées à des fibres rases et serrées. Résultat : une étoffe épaisse, chaude et particulièrement résistante. Les agriculteurs le portaient surtout en pantalon, tandis que les chasseurs adoptaient volontiers l’ensemble veste et pantalon assortis (ah, les fameux boutons aux motifs animaux…)

La veste de chasse se distingue par ses poches profondes, parfois doublées de moleskine ou de toile imperméable, parfaites pour transporter cartouches et gibier. Le pantalon, coupé dans le même velours côtelé robuste et souvent maintenu par des bretelles, offrait chaleur et durabilité. Les couleurs typiques – brun, beige ou vert bouteille – permettaient de se fondre dans le décor automnal.

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Vous noterez les boutons au motif animalier. Crédit : Vieux Et Nouveau Shop

Dans La Soupe aux choux, Jean Carmet et Louis de Funès ont porté cet ensemble comme on porte un vieux copain : naturellement, sans chichi. Résultat : ils en ont fait un symbole de la France rurale, presque malgré eux. Ce duo veste-pantalon l’incarne d’ailleurs à merveille, cette France rurale, conviviale, où la chasse et le repas qui suivait étaient autant un prétexte à se retrouver qu’une véritable activité cynégétique. 

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Crédit: Serieously

Aujourd’hui, les vestes en velours côtelé sont recherchées pour leur patine, leur coupe et leur confort. Et elles ne sont évidemment plus seulement l’apanage des chasseurs ou des paysans. De nombreuses marques et créateurs l’ont mises à l’honneur, à l’instar du Britannique Nigel Cabourn, qui a souvent joué avec le velours côtelé épais dans ses collections. Plus récemment, Hermès ou Brunello Cucinelli ont ressorti des vestes et pantalons en velours côtelé dans un esprit luxe discret, très proche du vestiaire rural traditionnel.

Il existe plusieurs façons de porter l’ensemble en velours côtelé, qu’il soit vintage ou revisité. Les Japonais auront tendance à adopter les ensembles anciens complets, veste + pantalon, souvent associés à des chemises blanches ou du denim selvedge. En France, on va plutôt privilégier la veste. Portée oversize, parfois même ceinturée, sur un jean brut ou un pantalon large, avec baskets vintage ou une paire de Red Wing.

3. La veste en lin indigo double boutonnage : l’élégance au travail

Dans le monde du workwear français, peu de pièces suscitent autant d’enthousiasme que la veste en lin indigo double boutonnage. À l’origine, il ne s’agissait pas d’un vêtement de parade, mais bien d’une tenue de travail. Pourtant, avec ses deux rangées parallèles de boutons et sa coupe structurée, elle possède une prestance rare pour un vêtement utilitaire. D’ailleurs, le double boutonnage n’était pas un simple détail de style. Il permettait une meilleure protection contre le froid et les projections, renforçait la solidité grâce au tissu doublé sur le torse, et offrait la possibilité de boutonner d’un côté ou de l’autre selon l’usure ou la main dominante. Hérité du militaire, adapté à l’atelier : encore un bel exemple de la fonctionnalité avant tout.

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Crédit : Pinterest

Le secret de son charme tient à la rencontre de deux éléments : le lin et l’indigo. Le lin, fibre végétale extraite de la tige de la plante, est réputé pour sa légèreté, sa souplesse et sa robustesse, qualités parfaites pour le quotidien des ouvriers et artisans. L’indigo, teinture naturelle utilisée depuis des millénaires, apporte cette profondeur de couleur qui se patine avec le temps, offrant des nuances presque vivantes.

Dès le XIXᵉ siècle, ce mariage entre matière noble et couleur intense séduit les fabricants français, qui l’emploient pour créer des vestes adaptées aux travaux exigeants, tout en résistant à l’usure. Mais c’est surtout l’intérêt des collectionneurs japonais, à partir de la fin du XXᵉ siècle, qui va propulser ces pièces au rang de Graal. Dans leurs yeux, la veste double boutonnage en lin indigo incarne le raffinement suprême du workwear français.

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Crédit : Vieux Et Nouveau Shop

Aujourd’hui, ces vestes sont devenues rares, très chères, et jalousement gardées par ceux qui en possèdent. Probablement la pièce la plus cotée du French Workwear. Si le vendeur sait ce qu’il a, il faut compter au minimum 1500 euros, souvent bien plus selon l’état, le modèle ou la marque.

J’ai la chance d’en avoir une, et elle ne quittera jamais ma collection. Une trouvaille improbable : je l’avais achetée sur eBay, début mars 2020, pour 90 euros, décrite simplement comme une “veste en coton ancien”. Le confinement a bloqué le paquet au dépôt Mondial Relay pendant trois mois, au point que je le croyais perdu. Quand il a fini par arriver, j’ai eu la confirmation de ce que j’avais pressenti sur les photos : ce n’était pas du coton, mais du lin indigo. Et pas une simple veste, mais un double boutonnage, auquel il manquait seulement quelques boutons, faciles à remplacer. Une vraie bonne pioche.

Ces vestes représentent aujourd’hui l’un des sommets du vêtement de travail ancien : une pièce capable de conjuguer fonctionnalité, confort et élégance naturelle.

4. La biaude

Parmi les pièces iconiques du French workwear, la biaude occupe une place à part. Ample, en toile bleue ou noire, elle se portait par-dessus les vêtements, un peu comme une armure légère, pour protéger la tenue du dessous. Les charretiers, les maquignons et les paysans la sortaient pour aller au marché, à la foire ou simplement se présenter en ville.

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Crédit : Vieux Et Nouveau Shop

Pas de boutonnage frontal (sinon, c’est une blouse) : la biaude s’ouvre à hauteur de poitrine, fermée par un simple cordon ou de jolis boutons, ce qui lui donne cette allure ample et fonctionnelle. Sa coupe large permettait d’enfiler et de la retirer facilement, même par-dessus plusieurs couches.

Le mot lui-même remonte loin : attesté dès le XVIᵉ siècle, il dérive du vieux-francique blidalt, qui signifiait « vêtement de soie », un clin d’œil ironique quand on sait qu’elle était le plus souvent taillée dans de la toile rustique.

Parmi ces cinq icônes du workwear français, la biaude est sans doute la plus difficile à intégrer dans une tenue moderne. Sa coupe ample, son ouverture à cordon et son absence de boutonnage frontal lui donnent un caractère très marqué, presque théâtral. Pour l’apprivoiser, mieux vaut la décaler : la glisser sur un jean brut, la ceinturer, ou l’accompagner de pièces plus contemporaines. Sans ces ajustements, elle risque de rester figée dans l’image d’un vêtement d’un autre temps.

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Crédit : Vieux Et Nouveau Shop

5. La vareuse de marin : le bleu du large

Avant de devenir un incontournable du vestiaire vintage, la vareuse a longtemps été un simple outil de travail. Née sur les quais et à bord des bateaux de pêche, elle a été conçue pour protéger les marins du vent, des embruns et du sel. Pas de fioritures : une coupe droite et ample, un col fendu qui se ferme par un bouton ou un lacet, et surtout, une toile robuste, coton épais ou drap de laine, souvent teintée d’indigo.

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Crédit : Le Glazik

Son côté iconique vient autant de son esthétique brute que de sa fonctionnalité. Pas de poches apparentes : les mains se glissent dans une unique poche ventrale, cachée à l’intérieur, pour éviter que l’eau ne s’y engouffre. Le col, lui, peut être remonté pour se protéger des rafales.

Au XXᵉ siècle, la vareuse quitte peu à peu les ponts de chalutiers pour les vestiaires civils. On la retrouve sur les épaules des dockers, des ouvriers portuaires, puis des étudiants et artistes séduits par son allure sans âge. L’indigo se patine, le tissu se détend : chaque vareuse raconte ses heures passées à affronter les éléments.

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Crédit : Etsy

Ce qui est fascinant avec les vareuses, c’est qu’elles créent un pont entre le vêtement de travail français et le vêtement militaire américain. Les modèles français se reconnaissent à leur indigo profond ou à leur drap de laine marine, tandis que leurs homologues américains ont rapidement adopté… le denim. Au tout début du XXᵉ siècle, l’US Navy, peut-être inspirée par l’Europe, produit en effet des vareuses en denim, quasiment identiques aux modèles français. Puis, pour des raisons de praticité, elle les remplace par une veste à col châle entièrement déboutonnable : la fameuse Shawl Collar Jacket, devenue culte chez les collectionneurs.

J’avais raconté toute l’histoire de ces pièces américaines dans le deuxième numéro d’AVANT, consacré à l’American Militaria. Mais je n’ai encore jamais pris le temps de détailler celles des vareuses françaises. Rendez-vous peut-être dans un futur numéro, là où l’horizon sentira fort l’air marin…

Nous remercions chaleureusement Eric pour la rédaction de ce bel article. Et, si vous ne connaissiez pas encore, nous vous invitons à découvrir AVANT Magazine, une très belle lecture pour tout passionné de vêtements workwear, militaire, utilitaire et de leur histoire !

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